La température très fraîche du matin, quatre degrés en dessous de zéro, un soleil éclatant, départ à quatre voitures du foirail pour rejoindre notre sherpa, Jean Pujo Menjouet à Sainte Marie de Campan. Nous prenons la route de Peyrehitte (pierre dressée) pour nous garer au Sarrat de Bon. Nous chaussons nos raquettes et nous dirigeons sur le chemin de Rami, que nous empruntons à gauche. Ce chemin a été édifié pour y faire passer une canalisation depuis Payolle. Le chemin a été un peu abimé par le passage interdit de 4X4, vraisemblablement d’un chasseur. Le doux bruit de la neige crisse sous nos raquettes. De nombreuses traces d’animaux sont présentes sur le bord du chemin, on imagine ici un cerf ou une biche, là une martre, un peu plus loin un renard puis une grosse empreinte d’un chien, un goupil qui a sauté, plongé de tout son poids dans la neige pour attraper un mulot ou un campagnol. La neige fraîche est un véritable livre d’images.
Jean nous parle de toponymie, les lieux portent les noms de torrents, ruisseaux, arbres, couleurs de rochers Ainsi en est-il de « la source de l'esclop ». Les bergers qui s'y abreuvaient se servaient de leur sabot (esclop) en guise de verre. Certains endroits, eux, portent le nom des animaux sauvages qui les ont traversés : « Eth casaou dets isards » (campan) signifie « le jardin de l'isard ».
Il y a de plus en plus de loups dans la région, pourquoi ? Parce qu’il y a beaucoup de gibier à manger, tant la prolifération des cervidés est importante. On en trouve notamment sur le Montaigu.
Jean, amoureux de la forêt, nous parle des arbres (son père était bûcheron), là un tronc dépourvu d’écorce sur deux mètres de hauteur, c’est un pic noir, grand architecte de nos forêts, à la recherche d’insectes xylophages. Plus loin, de grands épicéas qui fournissent un bon bois, des sapins pectinés qui peuvent être broutés par les cerfs trop nombreux. Brigitte trouve une boule de poils sur le sol, Jean pense qu’il s’agit d’un animal qui a été mangé, peut être un cerf, des taches de sang rouge ourlent le tapis de neige blanche.
En face plus bas, on aperçoit la route montant au Tourmalet, comme elle semble petite et fragile sous la montagne imposante, où on voit les traces d’un ancien éboulis qui a complètement bloqué la route. Un peu plus haut, le paravalanche, quand tu montes en vélo et que tu vois le paravalanche, tu sais que tu vas souffrir sur une longue portion droite à fort dénivelé.
Puis, nous arrivons en haut de notre circuit, le Pic du Midi se dresse toujours aussi majestueux, reconnaissable à son antenne relais de télévision et à son laboratoire astronomique. Nous faisons une courte halte au soleil et commençons notre descente, nous arrivons à une barrière et admirons la cascade du Garet, l’eau limpide coule sur une hauteur d’une vingtaine de mètres en deux longues coulées le long de rochers pris par la glace et la neige, et percute en fines gouttelettes le bassin. Stéphane a installé là ses ponts, tyroliennes et autres câbles des vertiges de l’adour. Nous passons les baraquements d’Artigues, un lieu d’accueil, un gîte où on peut passer la nuit et se faire servir des repas. Nous arrivons à la fontaine du Bagnet et au chemin de la Litbère, remontons un peu et nous asseyons sur un lieu herbeux face au soleil pour notre pique-nique. Du vin espagnol et une bouteille de Bordeaux agrémentent notre repas, comme d’habitude les douceurs nombreuses ravissent notre palais au dessert. Après une courte sieste, rechaussons nos raquettes pour remonter sur la piste forestière rive droite de l’Adour de Gripp. Le fleuve Adour naît en vallée de Campan de trois sources principales : l'Adour de Lesponne, l'Adour de Gripp et l'Adour de Payolle. Nous croisons une conduite forcée en fer, Jean nous explique que cette eau est captée à Gréziolles, Campana, La Mongie, traverse des galeries creusées à main d’homme (Le père de Jean a été mineur), puis rejoint cette conduite qui alimente les turbines de l’usine hydro électrique d’Artigues en contre bas et va ensuite à la centrale de Beaudéan. Un hêtre d’un âge tout à fait respectable borde notre chemin, il y a là le grand père, le père, le fils et même la mère avec ses deux seins bien apparents.
Jean, infatigable conteur, d’une grande expérience dans le Parc national, ancien moniteur de skis surtout en hors-piste, éleveur, guide, nous fait part de ses nombreuses anecdotes. Il nous raconte combien avant les paysans étaient usés physiquement par une vie de labeur, s’occuper des vaches, moutons, faire le bois, la fenaison, toutes ces tâches manuelles éreintantes fatiguaient les organismes, en fin de vie ils s’asseyaient sur un banc, voyaient la montagne d’en bas, le corps perclus de douleurs. Il nous explique aussi que Campan était la vallée du beurre, il y avait de nombreux troupeaux de vaches car la vallée située au nord produisait une herbe grasse propice à la bonne nourriture des bêtes. La vallée était peuplée, peu à peu elle s’est dépeuplée, il était difficile d’avoir un métier à l’année, il fallait avoir deux métiers, par exemple paysan éleveur et pistard. Il nous explique que le mot Artigues signifie défricher car avant, il y avait le droit d’aînesse, l’aîné héritait de la ferme, le cadet devait défricher un lopin de terre pour la culture ou l’élevage.
Après une courte montée dans la forêt, nous retrouvons les voitures au Sarrat de Bon, reprenons la route jusqu’à Payolle et prenons un verre aux marmottes. Jean nous explique qu’éclatait souvent des conflits territoriaux entre les gens de la vallée de Campan et ceux des quatre Véziaux, regroupement des villages d’Ancizan, Cadéac, Grizian et Guchen, chacun revendiquant les pâturages à l’herbe bien grasse de la montagne qui les séparait.
Merci aux quatorze très bons marcheurs qui nous ont accompagnés tout au long de cette très belle randonnée, merci au guide, conteur, conférencier, à la verve passionnante, Jean Pujo Menjouet.
Christian, vendredi 10 février 2023